Après la suppression des CHSCT, et la révision du compte de pénibilité au travail en Juillet 2018, la députée Charlotte LECOCQ a remis le rapport intitulé : « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée ». Alors si il est vrai qu’aujourd’hui notre système est parfois complexe voire confus, vouloir une approche trop simpliste présente un risque important de perte d’expertises.
Cet article n’est pas un résumé exhaustif du Rapport Lecocq mais une analyse biaisée par mon regard de préventeur.
Pour vous exposer mon point de vue sur ce rapport, je vais donc aborder cet article dans l’ordre suivant :
1. Points qui me semblent positifs
2. Points sur lesquels je reste dubitatif
3. Conclusion – Une simplification à outrance ?
Commençons par expliquer comment a été construit ce rapport.
Ce rapport a été rédigé à l’aide de plusieurs groupes de travail terrain et a réalisé des auditions auprès d’organismes connus ou de grandes sociétés. Parmi les participants aux groupes de travail, je retiens notamment l’ICSI avec son approche culturelle qui est reconnue et fonctionne avec d’éminents référents en risques industriels.
2 axes majeurs orientent ce rapport :
Les services de santé au travail interentreprises disparaitraient au profit d’une structure régionale de droit privé « Région santé au travail » qui disposerait d’un conseil d’administration paritaire ou siège le représentant de l’Etat et qui s’appuierait sur des antennes locales permettant de maintenir une proximité géographique avec les entreprises sur le territoire.
Le financement serait assuré par une cotisation uniforme sur le territoire national qui mutualiserait différentes cotisations existantes pour créer un fonds de prévention collecté par les URSSAF. (Essentiellement les cotisations accidents du travail et service de santé au travail)
Points qui me semblent positifs pour l’avenir
Certaines propositions de ce rapport permettraient de simplifier la vie des chefs d’entreprises de PME et TPE :
Une vision à long terme : L’objectif du Plan national de santé 2018/2022 est de promouvoir la santé au travail, développer une culture de prévention dans les milieux professionnels et réduire la fréquence et la sévérité des pathologies liées aux conditions de travail.
Une refonte du financement qui s’appuie sur la logique assurantielle déjà à l’œuvre aujourd’hui avec la CARSAT. Le rapport préconise une cotisation unique pour les employeurs : « Les contributions financières des entreprises pour les structures régionales de prévention et celles concernant l’OPPBTP pour les entreprises qui en relèvent, pourraient être regroupées avec celles des AT-MP au sein d’une cotisation unique “santé travail” directement recouvrée par les URSSAF. » Ce qui est intéressant est que le montant de la cotisation mensuelle serait variable en fonction des risques spécifiques de l’entreprise ainsi que son engagement dans une démarche de prévention.
La création d’une structure régionale de prévention qui serait l’interlocuteur privilégié de l’entreprise et qui agirait en tant que contact de proximité. Cette structure serait à l’écoute des besoins des PME/TPE et y répondrait en pilotant des projets de prévention. Elle pourrait s’appuyer sur les organisations déjà existantes en régions ARACT en puisant notamment dans leurs compétences pluridisciplinaires sur le volet organisationnel (ergonomes, psychologues, spécialistes en organisation).
La création d’un Guichet Unique : Celui-ci regroupera les compétences des structures régionales du réseau ANACT et de l’OPPBTP, les agents des caisses régionales d’assurance retraite et du travail (CARSAT) affectés aux actions de prévention et les services de santé au travail interentreprises. Le guichet unique permettra à chaque entreprise d’accéder à une offre de service homogène sur l’ensemble du territoire. Cette offre couvre l’intégralité des services auxquelles l’entreprise peut prétendre dans sa région :
• le suivi individuel obligatoire de l’état de santé des travailleurs ;
• un accompagnement pluridisciplinaire en prévention des risques et de promotion de la santé au travail (expertise technique, conseils méthodologiques, appui au déploiement de démarches de prévention technique et organisationnelles, aide à l’évaluation des risques, structuration d’une démarche de prévention, mise en place d’un système de management de la santé et sécurité, déploiement d’une politique QVT…) lorsque les entreprises n’ont pas la capacité de réaliser elles-mêmes ces actions ;
• l’aide au maintien dans l’emploi par l’intervention précoce dans le parcours de soins, l’adaptation du poste de travail, l’accompagnement dans le parcours social d’insertion (accès aux aides, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, articulation avec les travailleurs sociaux, formation professionnelle …) ;
• l’accès à un centre de ressources diffusant les outils et guides utiles, et favorisant la capitalisation et le partage des bonnes pratiques ;
• la formation des acteurs dans l’entreprise en matière de prévention ;
• le conseil d’orientation des entreprises vers le recours à un intervenant externe habilité ;
Parallèlement, les CARSAT et les directions régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE) devraient se recentrer sur leurs rôles respectifs d’assureur et de contrôle.
Points sur lesquels je reste dubitatif
Diverses propositions me semblent une simplification trop importante d’éléments indispensables à une logique de prévention pour les salariés :
La fin de la logique du Document Unique d’Evaluation des Risques (DUER) : c’est-à-dire une évaluation exhaustive des risques liées à l’activité réelle de l’entreprise et par unités de travail, en se contentant d’un plan d’action concernant « les populations les plus exposées aux principaux risques de leur profession, assorti d’indicateurs de progrès aisément vérifiables ». Tout ceci « dans un souci d’efficacité et d’effectivité » afin « de desserrer la contrainte du formalisme du document unique exhaustif d’évaluation des risques ». Cela soulève une première question : qui va décider quelles sont les populations exposées et selon quels risques ? Mais surtout une question bien plus importante à savoir si le document unique n’est plus exhaustif comment l’évaluation des risques peut-elle être efficace ?
La recommandation n°13 qui supprimerait le DUER pour les TPE, et également la fiche d’entreprise du médecin du travail. Ces suppressions des premiers outils d’évaluation et de prévention des risques dans l’entreprise et pour la médecine du travail, vont à mon sens trop loin. Si cette proposition faciliterait la création d’une petite entreprise mais indubitablement elle n’obligerait plus à une logique de prévention de l’employeur.
La fusion et la concentration des centres d’expertise nationale en matière d’ingénierie de prévention au sein d’un même organisme, Une structure nationale dédiée à la prévention en santé au travail pourrait regrouper les organismes suivants : l’ANACT, l’INRS et l’OPPBTP. Comment seront préservées les compétences rares et spécialisées de ces centres d’expertises ?
La suppression des Service des Santé au Travail Interentreprises (SSTI) : Ces structures privées associatives et indépendantes sont aujourd’hui autour de 250 et elles ont été financées par des entreprises adhérentes. Si demain l’organisme Région Santé au Travail reprend leurs missions, QUID du transfert de leurs actifs et de leur patrimoine ? Ce transfert donnera-t-il lieu à un rachat de ces actifs par la structure régionale ?
Conclusions
Poursuivant une évolution qui a cours depuis plusieurs années, la vision de la santé au travail promue par ce rapport glisse d’une démarche de prévention des risques vers une logique de gestion des risques professionnels plus simplifiée voire trop simplifiée. Et paradoxalement cela implique l’apparition de nouveau risque en termes d’exhaustivité de l’évaluation.
De ce point de vue le rapport entérine également une inclination récente de la chambre sociale de la Cour de cassation favorable aux employeurs. En effet dorénavant, les chefs d’entreprise ne seraient plus soumis à une obligation de résultat en matière de santé et sécurité au travail, mais à une obligation de moyens. Le rapport LECOCQ estime que « l’obligation de sécurité de résultat, poussée à l’extrême, décourage la prévention », cette philosophie est très éloignée de la mienne et pourrait malheureusement tendre vers une dérive dans la vision des employeurs quant à la sécurité au travail.
Egalement la fusion de nos organismes nationaux de prévention pourrait apporter de la lisibilité aux personnes extérieures au domaine. Néanmoins il ne faut pas que cela se fasse au détriment des compétences techniques et organisationnelles de ces organismes.
Autant de questions qui méritent des précisions ou plus sagement, un débat pour amender les recommandations les plus radicales de ce rapport. A voir ce qui sera suivi et ce qu’il restera dans le projet de loi présenté à l’Assemblée Nationale.
Auteur : Safety Vigilante, Justicier de la sécurité au travail
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